La Bataille de Bizerte

Cinq ans après son accession à l'indépendance, les échanges commerciaux de la Tunisie sont essentiellement orientés vers la France. Plus de soixante mille français, agriculteurs, commerçants et techniciens y vivent en bonne intelligence avec les Tunisiens. Une ombre au tableau cependant l'affaire de Sakiet Sidi Youssef.

Le 7 février 1958, l'aviation française a bombardé le camp de l'armée de Libération Nationale Algérienne situé en Tunisie, à quelques kilomètres de l'Algérie. Depuis plusieurs mois, les rebelles Algériens prenaient à partie, en toute impunité, les avions de reconnaissance et troupes françaises évoluant en territoire algérien. Suite à cet incident aux multiples remous, le président Bourguiba a rappelé son ambassadeur à Paris et réclamé l'évacuation totale de la Tunisie par l'armée française, notamment la base navale de Bizerte .Le 27 février , Bourguiba rencontre pour la première fois le général de Gaulle . Habib Bourguiba pose la question de Bizerte et demande l'évacuation.


Lazhar Chraïti aide le FLN depuis la frontière Tunisienne

 

Après le référendum du 8 janvier 1961, les Français se sont prononcés pour que les Algériens aient droit de disposer de leur sort. Bourguiba comprend tout de suite qu'une issue, dont les conséquences seraient capitales s'ouvrait. Lui dont l'ambition dépasse la dimension de son pays, entend conserver le leadership du monde arabe. Il espère tirer parti et avantages au moment où l'Algérie est sur le point de recevoir beaucoup. Son objectif est de procurer à son pays certains agrandissements du côté de ses confins sahariens, avant que ce désert qui n'a jamais appartenu à personne ne devienne propriété de l'Algérie. Bien entendu, c'est le pétrole qui soulève cette convoitise.

Des sources abondantes gisent à proximité de la Tunisie, dans les régions d'Hassi-Messaoud et d'Edjeleh. Le général de Gaulle rétorque- :Pour nous français, le développement de nos recherches et exploitation du pétrole saharien sera demain, un élément capital de la coopération avec les Algériens. Pourquoi irions-nous d'avance la compromettre en livrant à d'autres un sol, qui peut revenir à l'Algérie ? Sans parler des revendications que pourraient présenter le Maroc sur Colomb-Béchar et sur Tindouf, la Mauritanie, le Mali, le Niger et la Lybie. Rien ne justifie que nous consentions à démembrer le territoire.

Le diplomate Masmoudi qui accompagnait Bourguiba est pessimiste. Si la France a pris la Tunisie c'est pour avoir Bizerte .Jules Ferry d'ailleurs avait compris l'intérêt stratégique lors de sa visite en 1887.En 1880 Bizerte n'était qu'un petit port de pêche. C'est en 1882 que la France commença à aménager le lac de Bizerte en base navale, qui joua un rôle primordial dans les deux guerres mondiales.

Bouguiba soutient l'idée d'une indépendance de l'Algérie sous forme d'association avec la France, mais il sent qu'il risque de se trouver seul face à des Algériens qui ne veulent pas entendre parler de cette formule et qui viennent de rompre les négociations en cours à Evian. Brouillé avec le Maroc et l'Egypte dont il a accusé le Président Nasser de vouloir l'assassiner, il prend ses distances avec la Ligue Arabe. Dans son entourage deux hommes n'approuvent pas sa politique, Taïeb el Mehiri, ministre de l'intérieur, et maire de La Marsa et Mongi Slim nommé en 1956 au poste clé de ministre de l'intérieur, il s'est fréquemment opposé à Bourguiba. Il lui reprochait de choisir les gouverneurs à sa dévotion afin de noyauter l'administration à son profit .Pour éloigner ce descendant d'une grande famille turque d'origine grecque qui a de l'obstination, de l'habileté et du sang-froid, Bourguiba l'a nommé à l'ONU.

Pour redorer son blason vis-à-vis des révolutionnaires algériens et du monde arabe, Bourguiba doit se lancer dans un coup d'éclat. La base de Bizerte, dernier préside français en territoire tunisien, va constituer un cheval de bataille, quel qu'en soit le prix à payer pour son peuple. Vers la mi juin 1961 Bourguiba va en exiger soudainement l'évacuation.

De par sa position géographique et ses installations, la Base stratégique couvre une zone de détection étendue et contrôle tout le trafic maritime entre le Détroit de Gilbraltar et le Proche-Orient.

Le général de Gaulle qui s'apprête à mettre fin à plus d'un siècle de présence française en Afrique du Nord, n'est pas disposé à céder Bizerte dans un contexte international où la tension entre l'URSS et l'Occident est à son paroxysme.

Durant près de 90 heures, une bataille d'une violence inouïe opposera les militaires français aux troupes tunisiennes. Pilotes de chasse, parachutiste et soldats de toutes les armes combattront côte à côte.

Du 19 au 21 juillet 1961, l'Aéronautique Navale de Karouba a effectué environ 150 sorties aériennes.

En avril 1963, Alain Peyrefitte se risque à poser la question qui brûle les lèvres des français :

-Etait-ce la peine de traiter si durement les Tunisiens en 1961, si c'était pour abandonner Bizerte si vite ?

De Gaulle répond : j'ai toujours dit que nous ne resterions pas à Bizerte. Par malheur Bourguiba a attaqué un beau jour pour apparaître comme ayant arraché par la force ce que nous nous apprêtions à accepter de nous-mêmes. Nous commençons à disposer d'engins nucléaires. Nous allons être capables de pulvériser Bizerte et Moscou à la fois.

Le 15 octobre 1963, le capitaine d'artillerie Louis Muller amène le pavillon français, mettant fin à quatre-vingt-deux ans de présence militaire française à Bizerte.

C'était de Gaulle, tome 1, de Alain Peyrefitte, Editions le Fallois/fayard,1994

Extrait de La Bataille de Bizerte Patrick-Charles Renaud, éditions l'Harmattan