La tentative du coup d'Etat de 1962

Certains hommes expriment leurs convictions par la parole et d'autres par l'action, Lazhar Chraïti était un homme de droiture qui s'exprimait par l'action.

Lazhar Chraiti a risqué sa vie pour ses convictions et la liberté des Tunisiens, il ne pouvait assurément pas accepter qu'un pouvoir personnel s'installe en Tunisie, et accaparer cette liberté à son seul profit.

L'histoire lui donna raison, Bourguiba au pouvoir, la peur régna en Tunisie durant tout son règne, les dissidents éliminés, et les émeutes qui s'ensuivirent réprimées dans le sang.

D'autre part, les fellaghas qui avaient vendu leurs biens pour acheter des armes et combattre le colonialisme, ont été oublié et n'ont eu aucune compensation pour leurs pertes, et sont resté dans la précarité.

Bourguiba voulait un Etat à son service au lieu d'un Etat au service des Tunisiens. C'est dans cette perspective qu'il faut voir la participation de Lazhar Chraïti dans cette tentative de coup d'Etat.

Le Comité

« Journées de la mémoire nationale » ,
organisé par la Fondation Témimi pour la recherche scientifique et l’information le 19 octobre 2002

Témoignage de quatre acteurs du « complot » de 1962 témoignent

"La déviation du bourguibisme et la guerre de Bizerte, principales raisons de la tentative du coup d'État"

Dans le cadre des "Journées de la Mémoire nationale" ' la Fondation Temimi pour la Recherche scientifique et l’information a organisé, samedi, 19 octobre 2002, à Zaghouan, une rencontre consacrée à la tentative de coup d’état de 1962.

Au cours de cette rencontre, quatre acteurs de cet événement, condamnés à l'époque à des peines allant de dix ans à la perpétuité ou aux travaux forcés, ont pu apporter des témoignages inédits et dialoguer avec une assistance fort nombreuse composée d'une pléiade d'historiens, de chercheurs, d'universitaires et de journalistes.

Il s'agit de MM. Temim Hamaïdi, Mohamed Salah Baratli Ali Ben Salem et Kaddour Ben Youchret.

La Journée a été ouverte par le professeur A Abdeljelil Temimi directeur de la Fondation. Il a indiqué que quarante ans après cet événement ayant marqué l'histoire de la Tunisie indépendante, on relève l'absence d'études, de documents ou de témoignages politiques sur le dossier en question.

"Or, il incombe aux chercheurs, ajoute Prof. Temimi, d'étudier cet épisode et de réunir les témoignages de ceux qui n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer là-dessus jusqu'à aujourd'hui"

Le Prof. Temimi s'est félicité, par ailleurs, du climat d'ouverture politique instauré en Tunisie après le Changement du 7 Novembre par le Président Zine El Abidine Ben Ali ce qui a encouragé et permis l’organisation de telles rencontres destinées à jeter de nouvelles lumière sur certaines périodes de l'histoire contemporaine de notre pays.

Le directeur de la Fondation a tenu à mentionner qu'un des invités de la journée, en l'occurrence, M. Mohamed Salah Baratli, a déjà enregistré un témoignage d'une durée de près de dix heures sur l'événement en question pour le compte de l’Institut du Mouvement national.

Le Prof. Temimi a conclu son intervention en précisant que ce qui été écrit avant le 7 novembre était "une histoire qui ne fait pas honneur à notre pays'" Durant mes 30 ans d'exercice à l'université, a, il ajouté, aucune étude n'a été réalisée sur les événements de 1962 C'est ainsi que je considère ces rencontres comme une expérience unique en son genre par sa transparence, son sens patriotique et sa démarche objective et scientifique. C'est un honneur pour notre pays et notre régime"

"Avec le Combattant suprême, mais contre le bourguibisme"

La parole fut ensuite donnée à M. Temim Hamaidi qui a fait un exposé, passant en revue le climat général ayant entouré la tentative de 1962 et surtout les origines et les convictions des acteurs de ce qu'on appelait à l'époque le "complot". Voici la teneur de son intervention.

"C'est la première fois que je bénéficie de la parole. Pourtant, il s'agit d'affaires de la patrie qui concerne chaque citoyen. Ainsi,
je suis en mesure de donner une version et une lecture des faits différentes des thèses officielles.

"Nous étions tous avec le Combattant suprême, mais contre le bourguibisme, car Bourguiba avait dévié des principes élémentaires autour desquels on était réunis. Au lieu de constituer l'État du parti, il avait privilégié la formule du parti de l'Etat.

"Bourguiba avait alors, petit à petit mais en un temps relativement court, maté toutes les oppositions politiques, mis la main sur les institutions de la société civile, restreint l'indépendance de la magistrature, créé la Haute Cour de sûreté de l’Etat, créé la fonction de Procureur général de la République, opéré de nombreux changements, d'une façon arbitraire, dans les textes de la Constitution, ce qui avait donné une Constitution très différente de celle présentée lors de la première et deuxième lectures".

375 lois et décrets promulgués en deux ans

"Bourguiba avait promulgué de 1957 à 1959 pas moins de 375 lois et décrets qui n'allaient pas tous dans le bon sens puisqu'ils permettaient des jugements d'exception sans garantie de défense.

C'est dans ce cadre que les deux célèbres avocats, Mes Chedli Khalladi et Ammar Dakhlaoui ont étéjugés et condamnés.

"A peine 23 jours après la proclamation du régime républicain, deux lois ont été promulguées, celle de l'article 13, autorisant le retrait de la citoyenneté et celle de 1 'article 59, autorisant l'expropriation des biens.

"Une affaire, en apparence singulière, eut beaucoup de retentissement parce qu'elle était significative et édifiante quant aux pratiques insensées à l'époque. Il s'agit de l'affaire de la pomme « Teffaha ».

C'est une femme qui vendait des œufs à la Place Mongi Bali. Elle eut le tort d'augmenter le prix des quatre œufs de quatre millimes. Elle a été jugée pour ce "délit" et condamnée à un an de prison et à cent dinars d'amende.

"La politique étrangère de Bourguiba, alignée totalement sur celle des Etats-Unis était un autre sujet de mécontentement chez une bonne partie de ses compagnons.

"Bref, petit à petit, le mécontentement allait crescendo et la sensation d'étouffement était assez générale. Ahmed Tlifi disait déjà, en 1960 dans son rapport,que le parti a changé dans le mauvais sens.

"Béhi Ladgham avouait : "Si quelqu'un s'opposait au sein du parti à Bourguiba, ce dernier lui disait: que faites-vous alors au parti ? Ce parti est le mien ......

"Puis vint l'erreur qui a fait déborder le vase à savoir la bataille de Bizerte. Ce fut une véritable catastrophe qui aurait fait entre cinq et six mille morts et non pas sept cents comme avancé dans la version officielle de l'époque.

"Ni le pays, ni le peuple n'étaient préparés à cette guerre qui était celle de Bourguiba. Il voulait frapper un grand coup pour redorer son blason et participer à la réunion du Mouvement des Non-alignés à Belgrade à la place de Salah Ben Youssef, qui y était invité.

Les militaires ont demandé le report de l'action

"D'ailleurs, Salah Ben Youssef a été assassiné en Allemagne en août 1961 en pleine crise de Bizerte".
Le deuxième témoignage a été celui de M. Mohamed Salah Baratli qui a, d'entrée, donné le ton en confirmant que "la cause concrète et déterminante pour les événements de 1962, était, sans conteste, la bataille die Bizerte. Elle a fait énormément de torts au peuple.

"Malgré cela, nous avons répondu à l'appel du devoir et j'ai participé avec un groupe de compagnons à des opérations contre des positions de paras.

L'armée, il faut le reconnaître, était inférieure sur tous les plans aux unités françaises et n'avait, par conséquent, que son courage à opposer aux soldats français et de la légion étrangère.

"Un peu plus tard, j'ai été approché par Abdelaziz Akremi et Abdelhamid Zammouri pour tenter une action destinée à démettre Bourguiba et j’avais donné mon accord.

"Il y eut ensuite des rencontres avec Habib Hanini, Lazhar Cheraïti et Amor Bembli. Or, l'entrée en scène d'éléments de l'armée a modifié les données de l'action qui n'avait pas pour objectif, au départ, un coup d'État.

"Bref, les militaires ont demandé le report de l'opération dans le but inavoué d'en écarter les civils".

M. Ali Ben Salem, troisième témoin à prendre la parole, a commencé son exposé ainsi : "Après l'indépendance et la victoire de la tendance bourguibiste, plusieurs combattants n'ont pas remis leurs armes et se sont rendus en Algérie ou en Libye.

"Personnellement, je suis allé en Libye où j'ai été contacté par feu Jellouli Fares qui m'a rassuré en affirmant que l'ère de la tyrannie est terminée. Nous sommes retournés alors au pays après avoir tenus nos armes au Front de libération nationale en Algérie.

« Des bandes armé" organisées à travers tout le pays »

"Mais ce que nous avons vu à l'époque en Tunisie dépassait tout entendement. Des comités dits de sollicitude ou d'encadrement ont été constitués un peu partout à travers le pays. Ils étaient implantés dans chaque ville et chaque village.

"Il s'agit en réalité de bandes armées dont la plus célèbre était celle de "Sabat Edhlam" mise sur pied par Cheikh Hassan Ayadi, sur instigation de Bourguiba. Les crimes et les meurtres commis par ces bandes et, plus particulièrement, celle de "Sabat Edhlam" étaient nombreux. "Je peux avancer le chiffre de quelques milliers. Tous ces faits sont, d'ailleurs, mentionnes dans mes mémoires que je n'ai pas pu éditer. "Ces bandes étaient composées de ceux qui n' avaient pas accompli leur devoir contre le colonisateur. Mais grâce à son intelligence, Bourguiba a pu les rallier à lui avant de s'en débarrasser à la première occasion en envoyant un bon nombre à la bataille de Bizerte.

"Quant à Hassan Ayadi, il a été jugé et condamné à mort pour corruption et pour complicité au "complot" de 1962.

"Ainsi, la liquidation du mouvement yousséfiste par les éliminations physiques et la guerre de Bizerte ont été pour moi à l'origine de mon ralliement au mouvement de 1962.

"Pour nous, Bourguiba avait fondé la dictature car il considérait tous ceux qui n'étaient pas avec lui comme des traîtres. On était d'accord à mettre un terme à son pouvoir parce qu'il se considérait comme une sorte de Dieu. Un personnage sacré.

"Même Mongi Slim qui était, à l'époque ministre de l’intérieur, m'avait personnellement dit, à deux reprises : « Bourguiba a effectivement exagéré dans sa façon d'agir et de gérer les affaire du pays ». « Notre mouvement n'avait pas l'intention de tuer Bourguiba mais de l’écarter du pouvoir. »

"Cependant, la célèbre phrase de Lazhar Chraïti: "Coupe la tête, les artères s’assécheront (NDLR : expression du langage dialectal), a été interprétée comme étant un appel à la liquidation physique de Bourguiba.

« Un procès exempt de toutes les garanties de défense »

"Ensuite, il y eut l'entrée des militaires qui a renversé les données et entraîné des divergences entre les membres du mouvement.

"Je voudrais, enfin, dire quelques mots sur le procès et les conditions de détention. Le procès a été exempt de toutes les garanties de défi quant aux conditions de détention, elles ont été atroces et inhumaines.

"On avait le pied enchaîné tout le long journée pendant sept ans. On bougeait dans un rayon de 80 centimètres de diamètre soit la longueur de la chaîne.

"Même nos besoins, on les faisait les uns de les autres dans un pot en cuivre qui restait da cellule. Le seul qui était sans chaîne, était Sahbi Farhat. Il a été torturé et lorsqu'il est tombé malade, on lui avait interdit tout médicament. Même pas un cachet d'aspirine jusqu'à sa mort. Tout ceci était sur ordre du directeur de la prison"...

Le quatrième et dernier à apporter son témoignage était Kaddour Ben Youchret qui a donné cette anecdote "fort révélatrice", selon lui de l'état d'esprit de Bourguiba et de ses capacités manœuvrières.

"Lors d'une réunion au Caire, à laquelle j'étais présent, Bourguiba avait affirmé que si un jour il prendrait le pouvoir, la première chose qu'il ferait est de pendre le commissaire "untel" à Monastir.

Mais grand fut notre étonnement d'apprendre que le commissaire en question a été promu après l'indépendance. Tous les autres policiers qui avaient opprimé leurs concitoyens militants en temps de colonisation ont été promus.

« Un jour, le militant Mahmoud Zehioua avait demandé: Comment se fait-il que vous vous soyez rétracté. Et Bourguiba de lui répliquer:

"Que votre raison soit détruite ( NDLR : au expression utilisée en langage dialectal) , ce sont justement ces gens-là qui vont nous servir parce qu'ils se sentent contraints de se faire pardonner leurs méfaits".

"Mais comme ont dit mes compagnons, c'est guerre de Bizerte qui a été le vrai détonateur du mouvement. Et j'ai été parmi les premiers à donner mon accord pour participer à l'action.

"Amor Bembli était le lien principal entre les civils et les militaires"

"Nous avons eu plusieurs rencontres avec Abdelaziz Akremi, Lazhar Chraïti, Amor Bembli et ce, chez Sassi Lassoued et en présence de Habib Hanini.

"Je tiens à signaler que le lien principal entre nous et les militaires était Amor Bembli, puis il a eu Barkiya.

"Il y eut ensuite des divergences et l'idée d faire écarter les civils du mouvement. C'est en c moment de flux et de reflux qu'on a été arrêté et le mouvement avorté et ce, suite à une dénonciation faite par un subordonné de Amor Bembli. Il s'agit d'un sergent au sein de l'armée qui a été récompensé, par la suite, en le désignant comme attaché militaire dans une ambassade de la Tunisie dans un pays européen.

"On l'a su d'une manière fortuite. Au début l'instruction avait programmé une confrontation entre Amor Bembli et ledit sergent, mais elle s'est rétractée au dernier moment. Mais en refermant la porte de la pièce où se trouvait le dénonciateur, nous avons pu le voir dans la glace".

Extrait du débat

Lors du débat qui s'est instauré par la suite entre l'assistance et les quatre témoins, d'autres affirmations ont été avancées par les témoins notamment:

- « Bourguiba était trop ambitieux. Il voulait être un leader de la trempe de Gandhi, Nehru, Mao Tsé Toung, et surtout Nasser, d'où son penchant à éliminer d'une manière ou d'une autre tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui ou qui ne le suivaient pas ».

- « Le mouvement de 1962 n'avait pas l'intention de prendre le pouvoir mais d'ins-taurer un régime transitoire avant l'organisation de nou velles élections. C'est ainsi qu'il y avait une liste gouver-nementale intérimaire com-posée notamment de MM. Mongi Slim, Tdieb M'hiri, Ezzeddine Abbassi, Mahmoud Matri, Mohamed, Masmoudi, Mohamed Fadhel Ben Achour, etc..."

- « Existence de contacts avec l’Egypte et l'Algérie par le biais de Brahim Toubal et Moustari Ben Saïd. Il était question de faire déclencher une rébellion armée à Gafsa qui devait tenir de 48 heures à une semaine avant l'arrivée de renforts en armements d'Algérie ».

- "Confronté aux affirmations d'un représentant de l'Institut du Mouvement national, selon lesquelles, M. Mohamed Salah Baratli avait indiqué dans son enregistrement de 1993 qu'il était volontaire pour tuer Bourguiba, M. Baratli a confirmé ce fait tout en assurant que le projet était convenu entre lui et Abdelaziz Akremi uniquement, sachant que certains l'ont demandé parce qu'ils ne voulaient pas collaborer au coup d' Etat si Bourguiba n'était pas tué".

- « Amor Bembli était un habitué des coups d'Etat. Il avait participé à certains putsch dans la région du Proche-Orient, plus particulièrement en Syrie ».

- 'Tous les détenus ont été libérés suite à une grâce présidentielle inattendue et ce, le 31 mai 1973, soit la veille de la Fête de la Victoire, célébrée à l'époque le ler juin de chaque année".

- « Les témoins assurent qu’ils avaient agi par conviction et non pas pour des raisons personnelles connue l'a écrit M. Mohamed Sayab dans son livre "La République délivrée ».

- "Jusqu'à aujourd'hui, personne ne sait où sont enterrés ceux qui avaient été condamnés à mort et exécutés parmi les autorités la tentative de 1962".

Journal Le Temps : Couverture réalisé par Noureddine Hlaoui